Les entreprises pharmaceutiques émettent 13% de plus de CO2 que le secteur automobile

Le secteur du médicament génère 52 millions de tonnes de CO2 par an, selon une nouvelle étude, soit l’équivalent d’un pays comme la Suisse ou le Danemark. Les grandes entreprises du secteur pharmaceutique sont ainsi bien moins vertueuses que celles d’autres activités pesant pourtant plus lourd dans l’économie. Certaines sont cependant bien meilleures élèves que d’autres.

De nombreuses études se sont focalisées sur l’empreinte carbone de l’alimentation, du transport, du bâtiment, de l’énergie ou des nouvelles technologies. Mais bien peu se sont jusqu’ici penchées sur le secteur pharmaceutique. Et pour cause : alors que le marché du médicament compte plus de 200 acteurs, seulement 15 entreprises ont publié leurs émissions de CO2 depuis 2012.

Lotfi Belkhir, professeur à l’université de McMaster au Canada, a quand même essayé de relever le défi dans une étude publiée dans la revue Journal of Cleaner Production le 20 mars dernier. L’échantillon des 15 entreprises n’étant évidemment pas représentatif puisqu’il s’agit principalement des plus grosses sociétés, le chercheur a d’abord calculé un indice d’intensité carbone mesurant les émissions de CO2 par million de dollars de revenu généré pour l’année 2015. On aboutit à 48,55 tonnes équivalent CO2 (eCO2) par million de dollars (M$), soit 55 % de plus que pour l’industrie automobile (31,4 tonnes). En extrapolant à tout le marché pharmaceutique, les émissions totales s’élèvent à 52 millions de tonnes eCO2, comparé à 46,4 millions pour l’automobile sur la même année. « Alors qu’elle pèse 28 % de moins dans l’économie, la pharmacie est 13 % plus polluante que l’automobile », met en avant Lotfi Belkhir.

Difficile cependant de mettre tous les acteurs dans le même panier. Cette triste statistique cache en effet d’énormes disparités. Avec 77,3 tonnes eCO2/M$, le laboratoire américain Eli Lilly est ainsi 5,5 plus polluant que le Suisse Roche (14 tonnes eCO2/M$). De même, Procter & Gamble émet cinq fois plus de CO2 que son concurrent Johnson & Johnson, qui pèse pourtant le même chiffre d’affaires et possède une gamme de produits similaires.

« Pour se conformer aux limites fixées par les accords de Paris (+1,5 °C par rapport au niveau pré-industriel), il faudrait que les acteurs du secteur baissent leurs émissions de 59 % d’ici 2025 », fait valoir Lotfi Belkhir. Rien d’impossible, puisque Roche a par exemple augmenté ses revenus de 27,2 % entre 2012 et 2015 tout en réduisant ses émissions de 18,7 %. Le laboratoire américain Amgen remplit lui aussi déjà les objectifs.

Mais pourquoi ces entreprises sont-elles aussi polluantes ? « Bonne question », note Lotfi Belkhir que nous avons interrogé sur ce point. « Malheureusement les sociétés entretiennent une grande opacité sur leurs émissions et même celles qui publient un rapport annuel environnemental ne donnent aucun détail », regrette le chercheur. On sait cependant que l’industrie chimique, sous laquelle est regroupée la pharmacie, est le deuxième contributeur mondial aux émissions industrielles de gaz à effet de serre. Lotfi Belkhir explique d’ailleurs qu’il a dû exclure Bayer, pourtant l’un des leaders mondiaux du médicament, car ce dernier amalgame les émissions issues de sa division pharma avec celles de ses divisions chimie et agriculture, bien plus émettrices de CO2. « Généralement moins exposées médiatiquement que les énergéticiens ou le secteur minier, peut-être ont-elles tout simplement fait moins d’effort sur ce sujet », suggère le chercheur.

Pluies acides, pollution atmosphérique et contamination des fleuves

En 2016, une précédente étude avait calculé la pollution générée par le service de santé américain et montré que ce dernier était à l’origine de 12 % des pluies acides, 10 % des émissions de gaz à effet de serre, 9 % de la pollution atmosphérique et 1 % des gaz destructeurs de la couche d’ozone. La pollution générée par le secteur pharmaceutique va d’ailleurs bien au-delà des émissions de CO2. Une étude portant sur les fleuves de 72 pays vient de montrer que 65 % des sites étudiés contenaient des antibiotiques avec des concentrations allant jusqu’à 300 fois le seuil acceptable. Les industriels ne sont cependant pas les premiers en cause, les maillons faibles se situant ici au niveau des hôpitaux et des stations de traitement des eaux.

Lire l’article original : FUTURA

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